Histoire : Quand on est enfant, au pire, un petit garçon peut passer pour une petite fille, et vice versa, assez facilement. C'est justement pour cette raison que les parents de Rosa ne s'étaient rendu compte de rien. Rosa, c'était comme ça qu'elle s'appelait, de nom officiel, mais son papa, comédien de métier, l'avait très vite délibérément renommée "petit poussin", lui faisant ainsi endosser le rôle du fameux Polichinelle de la comédie italienne. "Pulcinella! Mon petit Polichinelle à moi, mon petit poussin!" C'était l'héroïne de la grande pièce de théâtre de sa vie. Et comme il l'appelait comme ça en la faisant sauter sur ses genoux ou voler dans ses bras, et que ça amusait la petite, elle se prenait au jeu, se désignait elle-même par le nom de "Pulcinella", et se mettait même à piailler pour faire plus vrai. La maman, que ça faisait rire aussi, s'y habitua, et tout le monde par la suite s'y habitua, et on ne l'appelait plus autrement que par ce nom-là. "Pulcinella".
Elle avait vécu une belle enfance, la Pulcinella. Elle était fort consciente de son bonheur et comptait bien le faire durer tant que possible. Une vie de liberté, avec les contraintes tout juste nécessaires, entourée des êtres qui l'aimaient et qu'elle aimait, sans plus s'embarrasser des problèmes inutiles que certaines personnes semblaient aimer, étrangement, à introduire dans leurs vies. Dans le monde de Pulcinella, il n'y avait pas ces superflus-là, et elle ne tenait pas à ce qu'il y en ait jamais, d'ailleurs. Pour cette raison, elle ne s'inquiétait jamais énormément de grand'chose, car l'inquiétude est une prison, et les prisons, elle les avait toujours eues en horreur.
Un jour cependant, il fallut poser une question qui brisa un peu la monotonie.
—Maman, à quel âge ça commence, les règles?
—Ne dis pas n'importe quoi, tu le sais bien. Tiens, à quel âge elles ont commencé, les tiennes?
—Ben, justement...
Maintenant qu'on y repensait, jamais Pulcinella n'avait consulté sa mère à ce sujet, auparavant. Jamais elle ne lui avait demandé de l'aide, posé des questions, ou quoi que ce soit d'autre. C'était bien la première fois que la maman entendait sa fille lui parler de règles, en réalité.
—...Elles ont jamais commencé, moi.
—Hein? Attends... Tu es sûre?
Question idiote. Mais ça surprenait un peu, sur le coup, une telle déclaration.
Pulcinella avait dix-sept ans et demi. À dix-sept ans et demi, normalement, à moins de connaître une puberté vraiment tardives, elles avaient déjà commencé, les règles. Mais pour Pulcinella, non. Rien du tout. Depuis des années, silence radio. Et elle n'en avait rien dit à personne. Tout simplement parce qu'elle ne savait pas à quel âge ça commençait. Du coup, elle ne s'en était pas souciée plus que ça... Et ça tombait à présent, une nouvelle pas des plus banales, qui entraîna chez les parents le plus grand étonnement.
—Tu es sérieuse? Je pensais que c'était juste une poitrine-plate, mais là... C'est évident que c'est bien plus sérieux que ça!
—Et quoi faire, d'après toi? Tu crois qu'on pourrait envisager d'aller voir un médecin?
Oui. Pourquoi pas, après tout. Un médecin, ce serait bien la personne la mieux placée pour savoir ce qui lui arrivait, à la petite. On avait donc emmené Pulcinella voir un médecin. Elle, elle n'avait pas bronché, elle avait suivi, elle s'était assise dans le cabinet, elle savait bien que c'était pour son bien que ses parents faisaient tout ça, que son cas n'était pas ordinaire et qu'il était sûrement plus sage, qu'il serait plus rassurant pour eux, de le faire examiner. Assise sur sa chaise, entre son père et sa mère, elle souriait même au docteur.
Diagnostic : une anomalie des hormones. Qui causait à Pulcinella la pilosité d'un homme —elle se rasait le menton depuis des mois et là encore, pensant que c'était normal, elle n'en avait rien dit—, une croissance plutôt masculine —oui, maintenant qu'on regardait, après tout, elle était belle, la Pulcinella, mais ça allait peut-être encore mieux de dire qu'"il était beau"— et une absence de caractéristiques comme la croissance de la poitrine, ou les menstruations, entre autres choses, propres à toute fille de son âge normalement constituée.
—Et... On ne peut rien faire, docteur?
—Si, bien sûr, il y a une solution... Je peux lui prescrire un traitement hormonal qui remettrait un peu d'ordre dans son organisme et rééquilibrerait tout ça. Je n'attend que votre accord, bien entendu.
Cette dernière remarque du médecin laissa les parents, peut-être, plus pensifs qu'elle n'aurait dû. "Leur accord". On leur demandait "leur accord"... Mais à eux, c'était l'accord de leur fille qu'il leur fallait! Pulcinella avait tout écouté, tout comme eux, et, pour sa part, elle était restée silencieuse, assise sur sa chaise, à balancer ses jambes d'avant en arrière, un peu ailleurs peut-être, mais l'air pas plus inquiet que ça.
—Pulcinella.
On voulait lui parler. Réunion de famille. C'était important : on lui laissait le choix, et à elle seule, d'accepter de suivre ce traitement ou non. Évidemment, elle avait bien conscience de ce que chacune des deux alternatives impliquait. On le savait bien, c'était une fille intelligente... C'était donc à elle de décider. La première réponse qu'on obtint fut un sourire.
—C'est Pulcinella qui décide? Vraiment?
Ça plus que quoi que ce soit d'autre, ça avait l'air d'avoir de l'importance pour elle. La liberté, là encore, que lui laissaient ses parents, était comme un trésor qu'il fallait chérir et ne pas prendre à la légère. N'importe quels autres parents, dans la plupart des cas, auraient imposé le traitement à leurs enfants, et basta. Il en allait de même pour les médecins, d'ailleurs. Pulcinella réalisait sur le moment la chance à laquelle elle avait droit, et cela la combla de bonheur. Le sourire s'en fit plus grand encore.
—Dans ce cas, Pulcinella ne prendra pas le traitement! Pulcinella veut rester comme elle est! ...Ah! Mais au fait... Pulcinella doit dire "elle", ou "il"?
Quelle maturité. Elle en était déjà, sans discutailler, à poser de telles questions, et elle acceptait tout. Une fois encore, les inquiétudes superflues avaient été effacées d'un revers de manche. Ceci dit, c'était une drôle de question, et sur le coup, on ne savait pas trop quoi y répondre.
—Ben... Je pense que compte tenu de la situation, tu peux choisir, chérie...
—Poussin? Où tu vas comme ça?
—Je vais me raser les cheveux.
—Et pourquoi?
—Ce sera plus pratique comme ça.
—Ah, d'accord.
Devant le miroir de la salle de bains, Pulcinella se rasait les cheveux. Elle se passait les mains dans ce qui lui restait de blondeur, et qui était en train de tomber en grosses mèches sur le sol. Elle révélait la forme de son crâne, sa petite tête de poussin, à nu, ou presque, et plus ça tombait, plus le rasoir marchait, moins encore elle ressemblait à une fille.
"Pulcinella est un garçon ou une fille, c'est comme elle veut... Pulcinella ressemblera à un garçon si elle veut! Avoir les cheveux courts comme ça, c'est plus pratique! Quand il fera chaud, je pourrai me verser un seau d'eau sur la tête..."
Et tandis qu'elle se confortait dans ses pensées, sûre d'elle au possible, Pulcinella terminait tranquillement sa besogne. Quand enfin les dernières mèches avaient cédé, elle se regarda un instant dans le miroir, et considéra sa nouvelle tête. Un véritable mec. Vu comme ça, il était tout à fait impossible d'hésiter entre deux sexes. Cela lui donna envie de rire. Elle commença par sourire. Le genre de gros sourire qui menace d'exploser en éclats à tout moments. Et puis, avec cette même expression, et comme une certaine empreinte de fierté dans les yeux, elle lança derechef son verdict :
—Le masculin l'emporte!
Et puis, après avoir passé un coup de balai, elle était sortie de la salle de bains pour venir au plus vite montrer le résultat à sa mère. Tout aussi fièrement, en entrant dans la pièce :
—J'ai fini!
—Eh bien, ma foi... avait répondu la mère avec un sourire surpris. C'est pourtant vrai, que tu ressembles parfaitement à un garçon, comme ça.
~~~
Quelques années plus tard, projetons-nous dans un bus napolitain bondé, aux heures de pointe. Inokuchi Nobunori, Japonais de taille adulte, salarié, tentait de profiter de vacances qui, en réalité, l'épuisaient plus encore qu'autre chose. Maintenant qu'il y réfléchissait, tassé dans ce bus au milieu de dizaines d'autres personnes, il n'aurait jamais dû partir. Mais c'était trop tard, maintenant. Il aurait fallu y penser avant.
Or, dans le même bus, quelques têtes plus loin, Pulcinella s'agrippait insensiblement à une poignée de sécurité fixée au plafond. Son gros ventre lui garantissait un petit peu plus de place que les autres, peut-être. Comme la plupart des gens dans le bus, il arborait un visage tout à fait sans expression, mais dans son cas, c'était sans doute un peu plus pour singer qu'autre chose. Cependant, ça, Inokuchi ne le savait pas, tandis qu'il regardait Pulcinella à travers les caboches des autres personnes. Pulcinella s'était senti observé. Il avait tourné la tête, presqu'aussitôt, vers Inokuchi qui le regardait, et presque aussitôt de même... PAF! Grand sourire.
—Pii!
Et sans plus de scrupules ni de gène, comme toujours, voilà que le petit poussin de frayait un chemin à coups de coudes et de bide vers cette personne qui le regardait. Lorsqu'il fut arrivé à sa hauteur, il prit soin de s'agripper à une autre poignée de sécurité. Inokuchi rougit. Il ne se serait pas attendu à une approche aussi rapide.
—Salut!
Heureusement pour lui peut-être, ce fut encore Pulcinella qui amorça la conversation. À sa manière, on le verra ensuite, mais il le saluait, c'était déjà un début.
—Ah... Bonjour.
—Vous regardiez Pulcinella!
—Eh...?
Pas la peine de faire semblant de ne pas comprendre. Ce n'était pas le genre de chose qui arrêterait le petit poussin.
—Ben oui! Vous regardiez Pulcinella, à l'instant. Pourquoi? Pulcinella vous intéresse?
Inokuchi rougit à nouveau. Ça n'avait pas l'air de fâcher ce "Pulcinella" plus que ça, d'être regardé, mais on n'était quand même sûr de rien... Après tout, dans la bonne société, fixer une personne de la sorte, ça pouvait passer pour très impoli!
—Euh... Non! Enfin... Oui, enfin, c'est que... J'aime bien votre costume.
—Ah, c'est pas un costume! En tout cas pas pour Pulcinella. Pulcinella s'habille toujours comme ça.
S'il avait pu, le petit poussin aurait volontiers fait un tour sur lui-même, rien que pour leur donner, à lui et à son interlocuteur, une vue périphérique de ses vêtements. Mais on était dans un bus bondé, et il ne pouvait pas. Il se contenta d'amorcer un geste pour traduire son intention.
Inokuchi se mit à sourire. Décidément, Pulcinella l'intéressait de plus en plus. Ce n'était vraiment pas une personne comme les autres, ça se jugeait dès le dehors et ça se manifestait dès les premiers signes quand on commençait à inspecter le dedans. Et, honnêtement, Inokuchi n'était pas contre passer un peu plus de temps avec cette personne-là. Mais pour cela, il fallait déjà faire un peu de conversation, pour se donner une raison de rester l'un à côté de l'autre.
—Eh bien... Je trouve que ça vous va très bien. C'est ravissant. Et ça vous rend unique, dans tous les sens du terme. Bien qu'à vous parler, je ne doute pas que vous le soyez de toutes façons, soit dit en passant.
Pulcinella sourit à son tour. C'était gentil, ça. Ce n'était pas tous les jours non plus qu'on lui offrait un peu de conversation de cette manière. Cet homme-là devait se sentir seul. Et puis, il n'avait pas l'air d'avoir peur de s'adresser aux inconnus. Bon, ceci dit, c'était bien Pulcinella qui avait commencé la conversation et pas Inokuchi, mais on ne rentrera pas dans les détails... C'étaient le genre de choses que le petit cerveau libre de Pulcinella filtrait assez facilement. Par contre, la mine déconfite d'Inokuchi, ça, ça ne passait pas inaperçu.
—Ça n'a pas l'air d'aller très fort, piou.
—Ha ha! Vous m'avez percé à jour... Effectivement, ça pourrait aller mieux.
—Qu'est-ce qui ne va pas, pii?
Alors Inokuchi lui avait raconté. Les vacances qu'on ressent le besoin de prendre parfois, et qui finalement s'avèrent décevantes... L'envie de rentrer à la maison quand c'est trop tard, et à quel point on se sent idiot quand ça arrive... Certains choix qu'on fait parfois, on ne sait pas pourquoi, pour suivre le flot, et qui finalement nous font mal au coeur...
—Aah, mais ça ira mieux quand vous rentrerez à la maison, alors!
Et sur ce, Pulcinella avait lâché un petit sifflement d'oiseau satisfait. Lui, il gardait le sourire. Sans même avoir eu tant besoin de se mettre dans la tête d'Inokuchi, il s'efforçait déjà de voir le bon côté des choses et de lui remonter le moral. Et cela faisait tellement plaisir à Inokuchi, que quelqu'un soit assez gentil pour se pencher sur ses petits problèmes insignifiants, que ça le rendit aussitôt plus à l'aise. C'était peut-être bien le moment de faire un premier pas. En tout cas il se sentait de le faire, à présent...
—Voulez-vous que je vous dise? En vérité, c'est vrai, vous m'intéressez beaucoup. Vous m'avez l'air d'être une personne vraiment spéciale... Et ça me plaît. Je ne sais pas où vous allez, mais si vous avez un peu de temps, ça vous dirait que je vous invite à boire quelque chose quelque part? On pourrait discuter un peu plus longtemps...
—Vous pensez que Pulcinella est gay, pii?
ARGH. Bonjour, la délicatesse. Évidemment, on pouvait lire ses intentions comme un livre ouvert, s'il s'exprimait comme ça! Inokuchi s'en trouvait très gêné. Cette fois, il avait peut-être bien réussi à la fâcher, cette personne. Et il en avait vraiment honte. Mais quoi faire... Quitte à avoir été percé à jour encore une fois, autant ne plus rien tenter de dissimuler, pas vrai? D'autant que dans le fond, Pulcinella n'avait pas l'air d'être le genre de personne à se mettre en colère de grand'chose.
—Aah... À vrai dire, j'aurais bien aimé, oui... Je me sens un peu seul en ce moment...
Comme prévu, Pulcinella ne s'était pas fâché. Au contraire, il avait souri de nouveau, comme pour rassurer son interlocuteur.
—C'est normal, vous allez pas fort! Dans des moments où on n'a pas trop le moral, c'est toujours important de sentir qu'on a quelqu'un de notre côté!
Et c'était bien rassurant, à vrai dire. Il comprenait. Comme s'il lisait absolument tout ce qu'Inokuchi ressentait, comme dans un livre ouvert. Et ce n'était pas tout.
—Et puis, Pulcinella aime qui veut bien l'aimer, lui! Il vous suivra où vous voulez, parce que vous avez été gentil de lui parler comme vous l'avez fait, et qu'il veut bien rester avec vous!
Inespéré. Un cadeau du ciel tombé tout droit dans le bus.
D'autant que Pulcinella avait vraiment suivi Inokuchi. Il l'avait suivi sur des chemins de promenade. Il l'avait suivi dans des cafés. Il avait fini même par le suivre jusque chez lui. Et de fil en aiguille, ce fut de cette façon que, sous une couverture où on se tenait au chaud, Inokuchi apprit que Pulcinella n'était ni un homme ni une femme.
—Ça vous dérange si je vous parle comme à une femme? J'ai du mal à imaginer un homme sans...
—Non, non, Nobunori fait comme il veut, comme il veut! Mais il faut se dire tu maintenant ; moi, j'appelle déjà Nobunori par son prénom. On se connaît, à présent. Ce n'est plus la peine de se dire vous.
Et, face au sourire d'enfant de Pulcinella, Inokuchi ne put que s'incliner, une fois encore.
—Dis...
—Oui? Qu'est-ce qu'il y a?
—Nobunori... Est heureux?
—Pour ça, oui! Je suis tout de même un sacré chanceux de t'avoir trouvée. C'est comme si tu étais montée dans ce bus rien que pour me sauver.
Rires.
—Nobunori parle bizarrement! Pulcinella était juste montée pour faire une balade!
—Je sais bien, je sais bien.
Fin des rires. Court silence.
—Nobunori...
—Oui?
—Pulcinella a toujours vu plein de gens tristes partout où elle allait. Dans la rue, dans la ville, dans le bus, partout. Certains, ils font juste semblant d'être tristes... Mais d'autres, ils le sont vraiment, et quelquefois, Pulcinella aimerait bien faire quelque chose pour les aider...
Silence gêné d'Inokuchi. Pulcinella était bien égale à elle-même, pour ce qu'il connaissait d'elle. Toujours à vouloir coller des sourires sur les visages des autres.
—Si Pulcinella pouvait tous les réconforter en amour comme elle a fait avec Nobunori, ce serait bien facile!
Mais le monde n'était pas si facile, et Pulcinella le savait, alors elle n'insista pas davantage. D'ailleurs, par la suite, elle n'aborda plus le sujet, bien que, probablement, elle le garde quelque part, dans un coin du coeur.
~~~
—Nobunori, Nobunori! Où on va, pii?
—On rentre à ma maison, je te l'ai déjà dit. Je t'ai aussi demandé plusieurs fois si tu étais sûre que tu étais d'accord pour m'accompagner, et tu m'as dit oui.
—Bien sûr, bien sûr! Pulcinella reste avec Nobunori!
On avait fait un trajet en avion de plusieurs heures, et à présent, c'était en train qu'on voyageait. Pulcinella regardait le paysage défiler, collée à la fenêtre.
—Elle est encore loin, la maison de Nobunori?
—Plus trop, maintenant. On a largement fait le plus gros. Dans quelques heures, on y sera.
Pulcinella était contente. Elle n'avait jamais vu le Japon. Il faut dire qu'on avait quand même dû traverser une bonne partie de la planète pour en arriver là. Pulcinella avait probablement toute sa géographie en tête, même si elle n'en laissait rien transparaître. Officiellement, dans sa tête, le monde était grand et on avait voyagé longtemps, donc on avait dû faire beaucoup de distance. Point barre. Mais en réalité, elle était bien entendu loin d'être aussi innocente... Le masque d'innocence était son préféré, simplement. C'était ce qu'Inokuchi avait pu observer, entre autres choses, à son propos depuis qu'elle était avec lui.
—Nobunori, tu es content de rentrer?
Pulcinella avait finalement détaché son regard de la vitre pour se tourner vers son compagnon. Ce qui arracha un nouveau sourire à ce dernier :
—Oui... Oui, bien sûr, je suis content.
—Ooh! C'est un grand endroit, pii!
—Ça s'appelle un parc d'attractions. Tu as déjà été dans un parc d'attractions?
—Pas beaucoup, pii, mais je sais ce que c'est!
—Celui-là s'appelle Akizuki no Wonderland. C'est là que je travaille.
—Eh? Mais alors, c'est pas ta maison, ça, pii!
—Ah, ça... Eh bien, si, justement, en quelque sorte... C'est aussi là que j'habite.
Inokuchi Nobunori était caissier au parc d'attractions Akizuki no Wonderland. Par ailleurs, il avait sa chambre au foyer des employés, et se retrouvait donc avec maison et lieu de travail confondus. Ce qui n'avait rien de contraignant. Akizuki no Wonderland n'était pas encore un parc si grand que ça à l'époque, et les employés se connaissaient entre eux d'autant plus facilement. Le parc relevant de l'entreprise familiale, ce lien fraternel et/ou parental, ou autre d'ailleurs, qui circulait entre les plus anciens avait vite fait de déteindre même sur les nouveaux. Pulcinella allait être très bien ici. Il ne restait qu'à arranger la question de sa présence, par rapport aux autorités compétentes.
—Ah, Inokuchi-kun! Te voilà de retour! Tes vacances se sont bien passées?
Formalités du retour. Saluts, échanges de nouvelles. Dans le dos d'Inokuchi, Pulcinella attendait patiemment qu'on aborde sa question. Elle ne se cachait pas. Au contraire, elle se montrait, le dos droit, le sourire aux lèvres, comme si elle était déjà chez elle ici. Après tout, elle n'avait pas tout à fait tort. Mais tout de même...
—Hmm? Inokuchi-kun? Qui est ce monsieur qui t'accompagne?
—Ah...
Inokuchi adressa un regard à Pulcinella, qui lui répondit par un signe de tête. Oui, oui, pas de problème, il était d'accord pour être un monsieur. La conversation reprit.
—C'est... Pulcinella, un ami que j'ai rencontré en Italie et qui a bien voulu me raccompagner jusqu'ici. Elle... Pardon, il... Va habiter quelques temps avec moi, du moins si vous voulez bien m'en donner l'autorisation, bien sûr.
On n'était pas du genre à chercher les complications, chez les Akizuki. On était d'accord, bien sûr. On eut même la bonté de proposer une chambre à Pulcinella, dans le cas où il préférerait être seul... Proposition que Pulcinella refusa gentiment, il était très bien avec Nobunori, il n'avait pas besoin de remplir une chambre de plus. Les choses étaient donc convenues, et très bien comme elles étaient. La vie allait pouvoir continuer, et avec elle toutes les petites fortunes qu'elle apportait toujours.
—Pii... Rico! C'est bon, c'est bon! Pulcinella aime!
—Qu'est-ce que c'est, Pulcinella?
—C'est une crêpe presque entière que quelqu'un avait laissée dans une poubelle! Tu en veux un peu?
Grimace.
—Hmm... Non merci.
Silence. Regard circulaire de Pulcinella.
—Il y a beaucoup de monde ici depuis quelques temps, pii.
—Oui... Ils viennent d'installer une nouvelle attraction qui marche bien, alors le parc est en pleine expansion.
—Je vois...
Silence. Ça avait l'air de laisser Pulcinella pensive, tout ça. Tandis qu'Inokuchi la regardait, une question lui venait en tête.
—À propos, au fait... Je ne te l'ai pas demandé depuis un moment, mais... Ça va bien, toi? Tu te sens bien ici?
—Super-bien! Pulcinella adore cet endroit, elle veut y rester longtemps, longtemps!
Sourire.
—Tant mieux. Enfin, te connaissant, je sais bien de toutes façons que si tu ne te plaisais pas ici, tu ne te gênerais pas pour t'en aller, n'est-ce pas?
—Je te préviendrais avant. Parce que Nobunori pourrait se faire du souci pour moi, et je ne veux pas qu'il s'en fasse. Même si Pulcinella disparaît, elle va bien!
—Oui, oui, je sais, tu es comme ça... Tu vas ton chemin...
On continuait de marcher un moment. Comme des amoureux, comme un parent et son enfant, comme ce que vous voulez enfin. Aucune perturbation dans ces moments de paix, sauf quand, quelquefois, le petit poussin marquait l'arrêt.
—Ah. Attends.
—Quoi?
—Caca.
Et Pulcinella de baisser son collant en plein milieu d'une des allées du parc, et de s'accroupir pour faire sa crotte. Avant qu'Inokuchi réalise ce qu'elle fabriquait, elle avait déjà sali le par-terre.
—Eeh?! Attends, Pulcinella, tu ne peux pas faire ça!
—Pii? Pourquoi?
—Parce que... Mais parce que ce n'est pas bien, enfin! Tsuru-san va se mettre en colère contre toi si tu fais ça!
Airs de ne pas comprendre. Mouvement léger de la tête sur le côté, l'index en bas de la bouche.
—Qui c'est, Tsuru-san?
—Mais enfin, tu sais bien! La vieille dame qui s'occupe du ménage...
Retour du grand sourire habituel.
—Aah! Babacchi!
Il va sans dire que depuis qu'elle était ici, Pulcinella ne s'était pas fait prier pour prendre ses aises. Elle avait déjà attribué un surnom affectueux de son cru à tout le monde, et les considérait tous comme une sorte de bande de frères et soeurs avec qui elle aimait à s'amuser tous les jours. Bon, s'amuser c'est bien, mais parfois, on faisait des erreurs...
—Mais qu'est-ce qu'il faut que je fasse, alors?
—Caca dans les toilettes, comme tout le monde, enfin! Réfléchis, si tout le monde faisait comme toi, il y aurait plein de déjections par terre, ce serait désagréable!
—Pas si tout le monde y était habitué.
Inokuchi voulut protester, mais finit par se perdre dans un soupir, levant les yeux au ciel. Il n'avait pu retenir un sourire, cependant. Pulcinella avait décidément réponse à tout. S'accroupissant à sa hauteur, il vint lui tirer affectueusement la joue, comme on taquine un enfant.
—Oui, eh bien, en attendant, tout le monde n'y est pas habitué, alors tu vas me faire le plaisir de ramasser cette crotte.
D'un geste, Pulcinella chassa la main qui lui déformait la face.
—Eeeh? Pas juste! Depuis quand il faut ramasser son caca, hein?
—Et depuis quand on fait caca par terre, pour commencer, hmm? Allez, discute pas. Viens. On va chercher un sac plastique.
~~~
—Pulcinella!
Chaque fois qu'Inokuchi la voyait sauter d'attraction en attraction à plusieurs mètres d'altitude, tel un Tarzan dans sa jungle, il ne pouvait s'empêcher d'avoir un peu peur pour elle. Malgré le fait qu'il sache très bien que Pulcinella, elle, était certaine de ce qu'elle faisait et que jamais elle ne tomberait. Quand on aime, on a tendance à trop s'inquiéter.
—Pulcinella! Tu m'entends?
Autre inconvénient notable, il fallait quand même pas mal gueuler si on voulait obtenir une réaction de la part de ce drôle d'oiseau qui s'amusait dans son élément. Lorsqu'enfin un cri provint à ses oreilles, Pulcinella daigna tourner la tête. Grand sourire.
—Ah! Nobunori!
—Descends, j'ai à te parler!
—'Accord!
En quelques sauts elle était en bas, devant lui. Aussi joyeuse que de coutume.
—Kek'y a?
—Écoute... C'est plutôt important. Je vais avoir besoin d'attention.
—J'ai toujours fait attention à ce que tu m'as dit, Nobunori!
—Mmh... Oui, après tout, c'est vrai.
Sourires. L'un toujours aussi large que d'habitude, l'autre un peu plus gêné.
—Voilà... Dans quelques jours, je vais partir.
—Eh? Où?
—On m'a proposé du travail ailleurs. Quelque chose qui m'intéresse. Je pense que ça pourrait me plaire... Alors, je m'en vais pour travailler là-bas.
—...Oh. Je vois.
En réalité, c'était un auditeur des plus comiques qu'on pouvait rencontrer en Pulcinella à présent. Elle qui avait dit qu'elle ferait attention, elle s'était tout de même mise à enchaîner des positions de yoga pendant qu'on lui parlait. Cependant, Inokuchi ne doutait pas qu'elle écoutât. Elle était comme ça, Pulcinella : même quand elle n'avait pas l'air d'y toucher, elle était tout de même la plus attentive possible.
—Et donc... Comme je te l'ai dit, je pars dans quelques jours. Mais je suppose que toi, tu préféreras rester ici... N'est-ce pas? Depuis que je t'ai emmené avec moi, je te vois toujours tellement heureuse que j'aurais du mal à t'imaginer quittant cet endroit... Du moins pour le moment. Je n'ai pas raison?
Petit sourire. Étonnamment petit.
—Voui. Nobunori me connaît bien.
Sourire de l'autre côté aussi. Tendre, le sourire.
—Évidemment...
—Mmh. Pulcinella va rester, voui. Mais Nobunori, lui, il s'en va, pas vrai?
—Oui... Dans quelques jours.
—Voui, je sais.
Petit rire de gorge.
—Ça fait trois fois que tu le dis, pii.
—Ah...! Désolé...
À présent, c'étaient deux rires qu'on pouvait entendre, mais des rires calmes, le genre de rire qui convient bien à ce genre de situation. Pulcinella savait très bien être délicate quand cela s'imposait. Puis, un temps de silence. Qui fut finalement brisé, comme souvent, par le petit poussin.
—Alors... Ça veut dire qu'on va se dire au revoir, hein, pii?
—Je crois bien, oui... Tu ne seras pas trop triste sans moi?
Rire de gorge.
—Nobunori va aimer ce qu'il fait, là-bas, pas vrai?
Sourire tendre.
—Il y a de fortes chances, oui.
—Alors, je ne serai pas triste. Je te garderai un peu, là...
Un geste vers le coeur...
—...Et puis, je saurai que tu es heureux. Et si jamais tu ne l'es pas et que tu veux revenir, Pulcinella sera peut-être bien encore là pour te donner plein d'amour!
Inokuchi la regardait de haut en bas, il voyait sa position qui menaçait de changer deux secondes plus tard, sa tête penchée sur le côté, ses yeux bridés, son sourire plein de soleil, et il entendait ce qu'elle lui disait. Une dernière petit injection d'espoir et de liberté, et pas des moindres, entre nous, pour un départ, il faut célébrer ça avec un peu plus de panache. Or, telle qu'il la voyait comme ça, Pulcinella, pour Inokuchi, n'était en ce moment ni plus ni moins qu'un trésor. Aucun mot plus exact ne lui venait à l'esprit. Un trésor sans sexe, sans domicile fixe, sans complexes ni limites en quoi que ce soit... Et Inokuchi prit le trésor dans ses bras, et le trésor souriait toujours, se confondant en affection.
—Tâche d'en faire profiter autant que tu le pourras, de ton amour, petit poussin. Crois-en l'expérience d'un tout petit homme parmi tant d'autres, c'est le remède idéal quand on ne va pas bien.
—Pii... Pulcinella ne sait pas...
Cependant, le trésor se dégagea de l'étreinte d'Inokuchi, et ouvrit grand les bras et la bouche, tout en esquissant quelques pas de danse, juste pour ajouter un peu de joie à ce qu'il disait :
—...Mais Pulcinella va continuer à vivre comme elle a toujours vécu, ça, Nobunori peut en être sûr!
—Oui... Je ne m'inquiète pas.
Nouveau sourire. Quand il voulut bien revenir vers lui, et s'offrir encore un peu à ses bras, Inokuchi embrassa le trésor. Pour l'un comme pour l'autre, tout allait bien se passer... C'était certain.
Et puis, quelques jours plus tard, effectivement, Inokuchi était parti. Pulcinella lui avait lancé un véritable concert de sifflements d'adieu, tout en le regardant quitter le parc pour la dernière fois. Peut-être qu'ils se reverraient un jour. Qui sait? Le monde était immense, mais si petit en même temps.
Par la suite, Pulcinella avait passé la journée à faire exactement ce qu'il faisait d'habitude —s'amuser, à sa manière, sur les attractions. En fin de journée, particulièrement, il avait passé des heures et des heures sur la même, une nouvelle, on aime toujours profiter un peu de ce qui est encore neuf.
Lorsqu'était venue la nuit et avec elle le sommeil, il était encore perché quelque part en haut de l'attraction, et il commençait même à considérer un peu l'idée de dormir dessus. Pourquoi pas? S'il retournait dans la chambre, qu'il avait à présent pour lui tout seul au bout du compte, il n'y trouverait personne. Nobunori était parti. Alors à quoi bon aller jusqu'au lit si personne n'y était déjà pour lui faire un câlin? Qu'est-ce qu'un lit tout vide avait de plus que cette attraction, un soir d'été où il faisait bon dormir dehors, et quand on était bien là où on était, sans avoir besoin d'en redescendre si vite?
La réflexion fut rapide. Pulcinella s'était déjà allongé sur une poutre. Il pensa un peu à Nobunori, et puis il pensa un peu aussi à la pomme d'amour qu'il avait mangée aujourd'hui, puis enfin il ferma les yeux et se retourna sur le côté. Une. Deux. Plusieurs secondes. Et puis il les rouvrit d'un coup.
—Ah. C'est pas bon. Si je dors là, Babacchi va se mettre colère.
Il resta immobile un instant, surpris par cette propre révélation qui venait de faire irruption dans sa tête. Mais très vite, sa bouche finit par se fendre en un sourire, les coins bien remontés vers le haut, tandis qu'il commençait à pouffer tout bas.
—Piihihi... Babacchi va se mettre colère...
En fin de compte, c'était plutôt intéressant à envisager. C'était entendu : ce soir, il dormirait sur cette poutre.
Code : Validé.Comment avez-vous découvert le forum? Je suis un double compte, et je suppose que quant à savoir qui je suis c'est assez évident. XD
Désolée, cette présentation a fini par être un véritable pavé... Et un drôle de pavé avec ça.^^"
AH, aussi.^^" J'aurais une petite chose à signaler, et à demander aussi... Voilà, simplette comme je peux l'être, j'ai fait une erreur stratégique en tentant une première inscription avec ce compte, et j'ai utilisé une adresse mail... Que je n'ai constaté que plus tard comme n'étant plus utilisable.^^" Du coup, j'ai laissé derrière moi un compte sous le nom d'utilisateur 'Pulcinella', que je ne peux pas activer, et donc, pas modifier non plus.^^" Est-ce que ce serait possible de supprimer ce compte, pour que je puisse prendre un nom d'utilisateur déjà un peu plus... "Normal"? *SBAF* Désoléedésoléééée!^^" À peine re-arrivée je commence à déranger...^^" J'le ferai plus! ><"